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« L’adaptation apporte des bénéfices concrets et immédiats » - entretien avec Goneri Le Cozannet
Saint-Nazaire, les 12 et 13 mars : l’adaptation des territoires littoraux face aux effets du changement climatique était au cœur des discussions lors de l’événement Le Littoral en mouvement organisé dans le cadre des 50 ans du Conservatoire du littoral. Parmi les voix expertes invitées, celle de Gonéri Le Cozannet, ingénieur au BRGM, membre du GIEC et du Haut Conseil pour le Climat. Contributeur du projet LIFE Adapto +, il étudie l’évolution des côtes et leur adaptation possible face au changement climatique. Entre constats, enjeux et perspectives, il partage ici son regard sur l’avenir de nos rivages.
Quel est l'état des connaissances sur les effets du changement climatique, en particulier sur les littoraux ?
Sur les littoraux, la première chose à laquelle on pense, c’est l'élévation du niveau de la mer. On sait aujourd'hui que la mer a monté de 20 centimètres depuis 1900. Elle monte d'à peu près un demi-centimètre par an actuellement et ce phénomène va s'accélérer d’autant plus vite que le climat va se réchauffer. Cela dépend de l'évolution des émissions de gaz à effet de serre d'une part. D’autre part, on s'inquiète de la réaction de la calotte de glace en Antarctique à ce changement climatique. Les scénarios vont d'une fonte modérée, qui amènerait à une contribution d’une dizaine de centimètres à l'élévation du niveau de la mer en 2100, à des scénarios plus sévères où cette élévation pourrait atteindre le mètre. Il ne faut pas oublier que les littoraux sont également exposés aux autres impacts du changement climatique, comme les canicules et les vagues de chaleur, qui affectent la pêche et la biodiversité marine. Il y a aussi la question des sécheresses et des débits des fleuves plus bas, ce qui entraîne un problème d'accès à l'eau, de salinisation des nappes et des sols. On rencontre aussi le problème des pluies intenses, qui ont du mal à s’évacuer à cause de l’élévation du niveau de la mer. Tous ces phénomènes concernent le littoral. Alors, il ne faut pas seulement répondre à la problématique de l’élévation du niveau de la mer. Il faut se poser la question de l’ensemble de ces changements et trouver une réponse cohérente. Cela implique de repenser la manière dont on gère les territoires.
Comment passer de ces données globales à des solutions locales ?
L’idée qu'on partirait des modèles climatiques pour arriver spontanément à des solutions est très répandue, mais ce n’est pas ainsi que cela fonctionne dans la réalité. On part certes de la contrainte climatique, mais il est aussi essentiel de faire un travail d’évaluation des mesures d’adaptation disponibles. Quelle est leur efficacité ? Leur faisabilité technique, institutionnelle, financière, économique et sociale ? Certaines options d’adaptation atteindront leurs limites lorsque l’élévation du niveau de la mer dépassera un mètre, ce qui est inévitable. Ce travail, malheureusement, j’ai parfois l’impression qu’on oublie de le réaliser, car on a tendance à croire que les simulations climatiques conduisent automatiquement à des solutions d'adaptation. Or, ce n'est pas le cas. Il est certes essentiel de mener une analyse approfondie des risques, mais il faut aussi examiner précisément les options d’adaptation avant de faire des choix. Parce que le choix de la mesure d'adaptation, c'est un choix politique.
Les mesures d'adaptation et les solutions fondées sur la nature sont-elles la même chose ?
Pas tout à fait. On peut imaginer des mesures d'adaptation côtière basées sur l'ingénierie, comme des digues ou des protections, comme cela a longtemps été fait sur les rives de la mer du Nord, en Allemagne, aux Pays-Bas, etc. Cependant, l’alerte du GIEC sur cette approche est qu'elle apporte peu de co-bénéfices. Prenons l'exemple de l’estuaire de l'Escaut, en Belgique, avec le plan Sigma. Au départ, l’idée était de construire une barrière estuarienne pour se protéger des tempêtes, mais après réflexion, il a été décidé de mettre en œuvre une approche plus complexe en matière de gouvernance, mais qui consiste à protéger là où c’est important, notamment en rouvrant des marais pour permettre une expansion des eaux. Cette stratégie a non seulement offert une protection efficace, mais a aussi restauré des écosystèmes et apporté des co-bénéfices immédiats. Il faut comprendre que lorsqu’on parle d’adaptation au littoral, il existe de nombreuses options, et ces choix doivent prendre en compte les co-bénéfices et les compromis. Et ça, cela pose la question du temps court et du temps long.
Est-il difficile aujourd’hui, pour des décisionnaires, des citoyens, d’envisager des solutions sans en percevoir les bénéfices immédiats ?
Nous devons anticiper. Les solutions d'adaptation les plus pertinentes, selon de nombreux chercheurs et moi-même, combinent protection là où c'est indispensable et solutions fondées sur la nature, relocalisation et réduction de la vulnérabilité des bâtiments dans certains secteurs. Certes, ces approches sont complexes à mettre en œuvre, mais elles offrent des co-bénéfices immédiats : restauration de la biodiversité, amélioration de la qualité de l’eau, accès à la nature avec des effets positifs sur la santé mentale, entre autres.
Bien sûr, cela reste un choix et ce choix n'est pas toujours très facile à admettre politiquement. L’élévation du niveau de la mer impose une adaptation sur le long terme, avec des effets qui ne seront visibles que plus tard, mais d'autres bénéfices sont instantanés. On peut en profiter dès maintenant et cela dépasse la seule question du climat. C'est d’ailleurs un point clé du rapport du GIEC de 2022 : atténuation du changement climatique, limitations des risques, réduction des pertes et dommages, inclusion sociale et préservation de la biodiversité forment un tout cohérent. Concrètement, cette approche offre une meilleure protection contre les tempêtes et les inondations, une meilleure qualité de l’eau, de l’air et des sols, des écosystèmes en meilleure santé, une plus grande justice sociale. Pourtant, le message dominant reste que l’adaptation sera difficile et coûteuse. Or, le consensus scientifique est clair : l’adaptation apporte des bénéfices concrets et immédiats.
Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?
Il y a plusieurs freins à l’action. Par exemple, un manque de sentiment d'urgence, de volonté politique, de financements et des questions complexes de gouvernance. De plus, certains acteurs obstruent activement les politiques climatiques pour protéger leurs intérêts économiques. Cela peut ralentir la mise en place des solutions nécessaires. Il est bien sûr essentiel que les citoyens s'engagent dans des associations et participent à la discussion, mais il est aussi nécessaire de regarder de près ces acteurs qui freinent les politiques climatiques. Ce phénomène s'intensifie d’autant plus que nous faisons des progrès en matière d’action climatique. Cela se voit aussi dans la politique mondiale. Par exemple, aux États-Unis, l’administration Trump a réussi à museler toute une communauté scientifique indépendante. Les gens n’osent plus s’exprimer parce qu’ils ont peur. Ce phénomène est mondial et, même en France, on voit des attaques contre des institutions qui luttent pour l'environnement. Cela laisse présager que les difficultés vont s’intensifier.
Quel rôle l’Union européenne peut-elle jouer dans l’adaptation au changement climatique ? Comment un projet tel que Life Adapto+ y contribue-t-il ?
Les projets LIFE Adapto et Adapto+ sont des exemples emblématiques. Si vous regardez vraiment, ces projets sont des illustrations très concrètes de ce que peuvent être des stratégies d’adaptation. Cela est rendu possible parce que le Conservatoire du Littoral a la possibilité d’acquérir et de détenir des terrains. C’est un cadre institutionnel qui est propre à la France qui permet cela. Le National Trust en Grande-Bretagne le pourrait également mais ce n’est pas le cas. C’est donc un cas très intéressant, notamment pour l'Union européenne qui est moteur sur les politiques environnementales. Je pense que l’autre intérêt de se rapprocher de l’Europe, c’est le cadre qu’elle offre, dans lequel le droit prévaut. Lorsque l’on discute de droit au niveau européen, c’est sérieux. Je pense qu’il faut bien que l’on réalise les bénéfices que nous apporte l’Union européenne en matière de protection des citoyens et de l’environnement, notamment à travers le soutien de projets comme Adapto.
Camille Cazanave - Entretien réalisé le 12 mars lors de l'événement Le Littoral en mouvement à Saint-Nazaire.